Les Flaktürme, gestion du territoire & civic techs
Une semaine avant mon entrée dans l’équipe Octree, mes aventures nomades m’avaient portée à Vienne. Fidèle à mes habitudes, j’arpentais la ville à la recherche de curiosités.
D’un parc à l’autre, je découvrais d’immenses structures en béton, des tours de DCA installées par l’Allemagne nazie durant l’occupation, les Flaktürme.
Je fus surpris d’y découvrir des centres de sport à ciel ouvert, murs d’escalade, jardins partagés et terrains de jeux pour enfants.
Après quelques recherches, j’apprenais que la ville comptait 6 tours aux usages très différents: aquarium, tour de télévision, bunker d’état ou encore entrepôt pour oeuvres d’art.
Comment des monuments venus d’un passé si violent retrouvaient-ils ainsi une place légitime dans le quotidien urbain? Comment devenaient-ils des lieux de partage, de rencontre, d’amusement et de sauvegarde?
En 1940, Vienne construit une architecture défensive
Lorsque l’Allemagne nazie ordonne la construction de ces tours, la population locale est peu disponible car soumise à la conscription, elle mobilise donc des travailleurs étrangers et prisonniers de guerre qui étaient rassemblés dans des camps et forcés au travail.
En effet, ces tours ont été érigées pour protéger Vienne et éventuellement y accueillir des personnes. Elles disposaient de systèmes leur permettant de localiser les avions ennemis et d’un arsenal de défense les préparant à résister en toute autonomie en cas de siège.
Il avait été prévu de les convertir en monuments de mémoire aux soldats tombés en cas de victoire de l’Allemagne Nazie.
En 2003, on se demande comment habiter ce passé encombrant
Après la défaite du 3e Reich, il a fallu trouver une nouvelle raison d’être à ces tours, qu’il était couteux et dangereux de détruire, étant donné la proximité des habitations.
Maintenant protégées, différentes transformations ont été proposées par des citoyens, entreprises et acteurs publics, mais peu ont vu le jour: Datacenters, hôtels, lieux d’exposition, résidences de luxe, bar ...la liste est hétéroclite.
En 2003 avec l’aide du journal De Krone, le département municipal du développement et de la planification urbaine de Vienne a appelé ses habitants à proposer des projets dont 500 ont ensuite été examinés par des experts.
20 ans plus tard, je ne trouve pratiquement aucune trace du travail alors réalisé, que ce soit en ligne ou en contactant directement les organisations publiques impliquées dans le projet et on est en droit de se demander si les couts de cette démarche étaient justifiés.
Le numérique et le territoire aujourd’hui
Dans le cadre du festival Explore à Genève en 2022, Octree a été sollicité pour créer Civic echo, un outil open source permettant de diagnostiquer les aspirations des habitant.e.s du Grand Genève pour la transition écologique.
Cette démarche ressemble à une version plus moderne de celle organisée par Vienne à l’époque, à ceci près que les citoyen.ne.s sont amenés à mettre en commun les idées et aspirations de chacun pour faire émerger de prochains projets.
Ce genre d’outils peut être utilisé pour répondre à des questions territoriales bien concrètes comme celle du recensement de l’espace public ou du niveau d’habitabilité. Une ville peut maintenant agréger des données à plus large échelle en s’informant par exemple sur le confort de ses transports, la confiance en son offre de soins, et d’autres aspects du vivre ensemble…
Y a-t-il finalement de meilleurs capteurs que les personnes quand il s’agit d’explorer et construire la ville qu’elles habitent?
Habiter la ville ensemble au quotidien
La consultation citoyenne menée à Vienne a été mise en place avec des moyens technologiques relativement pauvres et l’effort mis en place, ainsi que la coopération entre le Musée des arts appliqués (MAK), le journal de Krone et le département municipal du développement et de la planification urbaine, sont a féliciter.
Au-delà du mot-valise, Vienne nous montre que la Smart City n’est pas qu’un concept moderne d’observabilité du territoire par des moyens numériques, mais une réelle approche transversale de résolution des problématiques sociales et territoriales, le numérique y étant un moyen et non une fin en soi.
Malgré le faible impact direct qu’elle a eu et le peu de traces que cette consultation laisse, les tours n’ont pas été complètement abandonnées. La tour VIII, du Arenbergpark, moins touristique, est un bel exemple de réappropriation du territoire par les citoyen.ne.s qui y ont érigé un jardin partagé, géré collectivement par les gens du quartier.
Ces lieux qui participent à l’élaboration de ville vivante et la création de communautés mixtes sont généralement rendus possibles par une convention d’occupation, pour laquelle des particuliers ou une organisation se portent garants.
Ils se reposent sur des ressources souvent récupérées et dépendent encore fortement de dons pour les matières telles que terre et engrais naturels.
Les personnes qui se rassemblent autour du projet ont des profils très divers, curieux qui s’y arrêtent pour discuter, déposer du compost ou cueillir quelques aromatiques …des animatrices de communautés, qui y organisent des évènements, y partagent leur cuisine, font découvrir les lieux, des pédagogues qui transmettent leur compétences au potager, en bricolage …des gens grognons, des éternel.e.s optimistes, des ponctuel.le.s, des habitué.e.s, ces lieux devenant ainsi des carrefours sociaux dans le quartier.
Les communautés durables sont fragiles
Comment des organisations aussi jeunes et clairsemées s’organisent-elles? Comment mettent-elles en équilibre leur volonté d’indépendance face à leurs besoins matériels et immobiliers?
Une telle organisation, pour exister et co-exister dans l’environnement urbain, a besoin de garder trace des informations nécessaires à sa survie comme par exemple le renouvèlement des conventions d’occupation, les projets de subvention, la trésorerie ou encore les partenariats avec les agriculteur.rice.s.
Et c’est là que ça coince! De mon expérience, le cycle de relève des jardins partagés est de 2 à 4 ans, le travail bénévole est peu durable et il est difficile de rassembler régulièrement les membres (pas forcements définis) pour un partage d’information et de décision efficace.
Quelques membres actifs se retrouvent avec tout sur leurs épaules et sont reconnus implicitement comme meneurs par le reste du groupe qui peut se sentir bloqué dans ses initiatives.
Les tentatives des administrations communales pour fédérer les nombreux jardins partagés et mutualiser leurs ressources, quand elles n’échouent pas à être acceptées par les occupants, se retrouvent face à des interlocuteurs et interlocutrices qui se sentent peu légitimes ou sont devenus légitimes par habitude et doivent s’interfacer avec des organisations à la gouvernance opaque et recommencer leur travail quand les bénévoles se retirent pour laisser place à d’autres dont l’historique et la culture sont alors perdus.
Un garant numérique du collectif? Decidim.
Une plateforme Decidim peut apporter un cadre multiniveau, d’organisation à projet, de public à associatif: en aidant au partage d’informations, à la transparence des décisions et à la mise en commun d’idées, de savoirs et de budgets.
Elle donne un espace où toutes les parties prenantes de ce genre de projet peuvent co-exister et faire entendre leur voix, en laissant libre place au développement de ces communautés tout en permettant la continuité de celles-ci grâce à l’archivage des décisions et des projets qui les ont rassemblées.
Decidim est né 13 ans après la consultation élaborée à Vienne pour la réhabilitation des Flakturm. Je peux uniquement supposer que le résultat aurait été différent et suscité plus d’interactions si une plateforme Decidim avait existé à l’époque, mais je suis certain que l’information qu’il en resterait aujourd’hui nous aiderait à tirer de meilleures leçons du passé.
Mais pourquoi ne pas utiliser Decidim alors? Decidim garantit la transparence du processus participatif et met pour cela en place des technologies difficiles à prendre en main pour les non-initié.e.s. Si l’outil déployé permet plus d’inclusion des citoyen.ne.s, savoir le déployer est par contre une expertise restreinte à peu d’initié.e.s, ce qui le rend difficilement accessible aux petites associations et à certaines communes.
Pour régler ce problème et rendre le déploiement de Decidim plus accessible, Octree a une solution: un outil qui permet de déployer son instance Decidim en quelques clics et sans être un expert en informatique: voca.
— Simon pour Octree
Sources:
Sur les questions du data center et de la réserve d'art fermée: https://www.viennadirect.com/sights/mak.php
En référence à l'aquarium: https://www.haus-des-meeres.at/en/Flakturm/Flak-Tower.htm
En référence aux travailleurs forcés étrangers ; au coût du data center ; à l'appel a projet et la consultation ; à la consultation citoyenne par journal De Krone: 500 propositions évaluées par des experts en mars 2003 mais dont le résultat n’est publié qu’en janvier 2004: https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Flaktürme
Au sujet de la tour aquarium et de la mémoire collective: https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Ausstellung_Erinnern_im_Innern_-_Flakturmmuseum
Au sujet de l'usage pendant la guerre, de la non-destruction des tours car des habitations sont proches et devenues protégées, de la coffee house, de l'hôtel. Le premier juillet 2015, le conseil de la ville de Vienne décide à l'unanimité de vendre la propriété aux Haus des Meeres pour la somme symbolique d'un Euro. En référence à la période pendant la guerre, les tours sont supposées rappeler plus tard les soldats tombés pour le Reich. En 2005 et 2006, des expositions organisées par l'association d'artistes Faktum Flakturm ont été exposées dans la tour. En sus, un groupe d'historiens ont été mandatés pour effectuer une recherche approfondie sur l'histoire du lieu. Les découvertes réalisées durant le cours de cet épisode ont permis de clore partiellement les lacunes en savoir sur l'origine des tours et leurs usages. Les recherches ont toutefois dû être abruptement interrompues: Le permis d'exploitation ayant expiré en mars 2007 et le manque de mesures de sécurité en place dans le bâtiment, les tours ont été fermées par les autorités compétentes (MA 34). Le groupe est actuellement entrain de se battre pour un renouvellement de l'accès aux tours. D'autres projets de réaffectation ont notemment échoués, parmis eux: un projet residentiel et de piscine à été balayé par une initiative citoyenne: https://de.wikipedia.org/wiki/Wiener_Flaktürme
Au sujet de l'occupation Nazie: https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Nationalsozialismus