Outils libres, agile et autogestion

En bons Suisses, quand on doit réfléchir on s’enferme dans un chalet et on mange beaucoup de fromage. Ici, pendant la semaine Octree 2025, de gauche à droite: Renato, François, Tim, Xavier, Thomas (représenté par son chat), Guillaume, Hadrien et Mathilde.

En tant qu’équipe pluridisciplinaire qui produit des outils numériques pour d’autres, nous avons toujours eu besoin d’applications transversales comme spécifiques. Aux contraintes budgétaires s’ajoutent nos choix éthiques: comment favoriser l’open source et le libre tout en gagnant en efficience?

Négocier une transformation permanente

L’agile (avant de devenir un slogan politique) c’est un manifeste suivi de 12 principes simples, mais qui demandent une grande expérience pour être correctement appliqués. L’un de ces principes est par exemple le suivant:


«Les meilleures architectures, exigences et designs émergent d’équipes auto-organisées.»

– The Agile Manifesto

Par outils libres, nous entendons l’ensemble des outils technologiques (applications, logiciels) qui sont protégés par une licence garantissant qu’ils restent des biens communs que chacun·e est libre de modifier, reproduire et réparer. Nous différencions ceux-ci des logiciels propriétaires qui entrainent un assujetissement et une dépendance des usager·ères.

L’autogestion, que nous appellons aussi souvent gouvernance distribuée pour redonner un coup de fraîcheur au terme, peut être décrite comme suit:

«L’autogestion s’oppose à l’heterogestion, qui est la façon de conduire les entreprises, l’économie, la politique, ou la société sans le concours de ceux qui sont directement intéressés.»

– De L’Autogestion, Théories et Pratiques, ouvrage collectif

Chez Octree, notre autogestion se base sur l’holacracy et puise dans d’autres méthodes comme la sociocratie, les liberating structures, des coachings par pair·es et plus. Toutefois, c’est une chose de fonctionner en autogestion à l’aide de méthodes, et c’en est une autre de changer nos outils pour se baser sur du libre. Si nous souhaitons réellement être intègres dans notre défense des communs numériques, cela signifie aussi arrêter de cautinonner les modèles d’affaires basés sur la dépendance pour les remplacer par des modèles basés sur l’interdépendance. Nous devons donc opérer cette transformation plus profonde: remplacer nos outils propriétaires par des outils open source et libres.

«L’autogestion suppose des outils susceptibles d’être autogérés.»

– André Gorz


Nos outils sont encore loin d’être 100% open source, puisque nous effectuons cette amélioration continue sur des années. Le choix des outils s’effectue sur la base des besoins: sont-ils coûteux? Vont-ils créer une dépendance à long terme? L’application peut-elle être utilisée à l’interne comme à l’externe? Est-il possible d’y intégrer d’autres outils, voire des développements spécifiques? Cette application permet-elle de réduire le nombre total d’outils utilisés, réduisant ainsi la charge cognitive de l’équipe? Est-ce que ce nouvel outil renforce les habitudes de collaboration entre disciplines, ou entrave-t-il l’intelligence collective? Et surtout: l’application est-elle pérenne ou est-on en train de se reposer sur un projet en déclin?

Pour différencier ces questions, nous avons isolé 2 aspects de notre travail.

  1. les aspects généraux
    Nécessaires au bon fonctionnement d’Octree, regroupant communications internes & externes, administration, archivage, gouvernance et gestion de l’information. Leurs fonctionnalités typiques sont l’agenda, le chat, les réseaux sociaux, le drive partagé, les emails, la comptabilité…

  2. les aspects produits
    Nécessaires au bon fonctionnement des équipes productives, ces outils permettent efficacement de concevoir des interfaces, planifier des releases, prendre des décisions, tester des développements, suivre l’avancement des projets. Leurs fonctionnalités typiques sont le versionning (Git), le design UX, le tableau blanc virtuel…


Le but de cet article n’est pas de proposer des solutions pour d’autres organisations ou activités, car chaque approche est spécifique. En revanche, communiquer sur notre approche du changement nous permet de rendre visibles l’organisation et l’infrastructure nécessaires pour nous permettre de fonctionner de façon efficiente et agile dans des domaines d’activité vastes (participation démocratique, gestion du recyclage, gestion de l’énergie ou encore mobilité partagée) et avec nos connaissances métiers différentes (ingénieurs informatiques, designers UX, product owners, communication visuelle). Nous espérons ainsi inviter d’autres coopératives dans la tech à partager leurs approches de l’autogestion et de l’agile à travers les outils qu’iels utilisent.

Le stack d’équipe: des points de repères communs

En vert, open source; en noir, propriétaire.
De gauche à droite: Passbolt, Bexio, Odoo, Mastodon, Buffer, Linkedin, Glassfrog, Matrix, Gitlab, Kdrive, Notion, Figma et Whimiscal.

Les outils généraux sont partagés par une majeure partie des membres de l’équipe, ce qui fait d’eux un point de repère commun et qui est associé, si possible, à des compétences partagées. Cet aspect n’est pas anodin en gouvernance partagée puisque celle-ci se repose sur un idéal sans cesse recherché: la rotation la plus complète des rôles composant l’équipe. Dans notre cas, Notion permet donc d’être utilisé par toustes comme wiki partagé, mais aussi par les rôles Coach Agile, Product Owner, Relation client, Secrétaire, Communication ou encore Développement Business. Les outils pleinement partagés par tous les membres de l’équipe sont donc Matrix, KDrive, Notion et Glassfrog, pour notre gouvernance. Ces outils vont aussi être les premiers pris en main par de nouvelles personnes rejoignant l’équipe. Cette base nous permet ainsi de couvrir un large spectre de notre activité.

  • Matrix: communications instantanées | présent.

  • Kdrive: archivage collectif | temps long.

  • Notion: activités en cours | présent et avenir proche.

  • Glassfrog: Gouvernance | présent.


Les autres sont considérés comme des outils globaux car leur usage s’inscrit dans une temporalité qui échappe aux cycles définis de projets.

Le stack produits: adapté à des compétences spécifiques

En vert, open source; en noir, propriétaire.
De gauche à droite: Figma, Gitlab, Github, Whimsical, Notion, Weglot, Kdrive, Squarespace, Infomaniak suite, Rails, Grafana, Matomo, Traefik, OpenCollective, Odoo, Docusaurus, Crowdin, Prisma, tRPC, Zod, AuthJS, Mailcatcher, Fider, UptimeKuma, Metabase.

Plus similaires à ceux que vous pourriez trouver dans d’autres équipes du secteur, il est intéressant de noter que tout le stack s’adapte à l’outil qui est au cœur de notre métier: Gitlab permet de coordonner les releases produits et d’impliquer tous les rôles productifs de l’équipe: Product Owner, UX, Dev, Sysadmin, etc.

En termes «d’architecture organisationnelle», on ne peut s’empêcher de penser au diagramme de Steward Brand «How Buildings Learn», décrivant le cycle de vie des bâtiments conditionné par ce qui s’y reproduit le plus souvent: les usages, puis les aménagements, l’affectation des pièces, puis pour finir l’architecture et les fondations.

How Buildings Learn, Steward Brand, 1994.

Il serait toutefois simpliste de considérer qu’il s’agit de la même situation: tout comme un bâtiment a des contraintes propres, telles que matériaux, cadastre, voisins et ainsi de suite, nous avons aussi les nôtres. Octree a les contraintes principales de viabilité financière et d’engagements éthiques. C’est donc un équillibre constant que nous cherchons à maintenir entre ces différents facteurs:

  • Productivité –VS– charge cognitive

  • Autonomie technique –VS– rentabilité

  • Qualité de service –VS– ouverture au changement

  • Interoperabilité –VS– coût de maintenance

  • Taille d’équipe –VS– résillience –VS– agentivité

Aujourd’hui, nous avons remplacé les outils suivants par ces alternatives libres:

Au total, ça donne ça:

Les outils plus granulaires tels que plugins, librairies et langages de programmation ont volontairement été laissés de côté pour simplifier la lisibilité de l’illustration.

Les prochains sur la liste pourraient bien être: Figma par Penpot, Squarespace ou Notion. Les alternatives ne manquent pas, toutefois nous attendons d’être prêts à gérer ces changements.

Il est intéressant de noter que nous avons ajouté un nouvel outil, Opencollective. S’affranchissant d’une logique libérale classique, Opencollective nous permet de donner une transparence financière à nos projets et de lancer des campagnes de financement participatives.

Un atelier n’est pas un bureau

Sortir des Gafams, ça fait gagner beaucoup. L’usabilité des solutions propriétaires est réelle, mais va de pair avec l’opacité des systèmes utilisés et des interactions conditionnées par des logiques de profit. Le profit, on doit en faire à octree (ou on coule), mais il est utile de se rappeler qu’en dehors du productivisme, l’autonomie et l’optimisation des coûts aident beaucoup notre petite équipe.

Dit simplement, la question de la souveraineté technique se pose assez rapidement lorsqu’on est dépendant de systèmes informatiques pour son activité professionnelle: ainsi, en utilisant des systèmes libres nous avons la possibilité de les rendre interopérables, mais aussi de participer à leurs développements. Là où certains verraient une dissipation de nos efforts, nous voyons au contraire un effort productif bien investi: il nous sert non seulement à maintenir et prendre soin d’un stack technique axé sur la productivité mais nous permet aussi d’investir dans la reproduction sociale liée à notre métier. En travaillant sur notre stack, on rencontre d’autres, on prend soin et on acquiert de nouvelles compétences. Ces compétences peuvent ensuite être valorisées sous forme de conseil et d’accompagnement auprès de structures plus grandes qui cherchent elles aussi à s’affranchir de l’emprise des géants de la tech.

Conseil: pour chaque changement d’outils, nous ouvrons un projet de test. Ce projet a pour raison d’être, pendant une période donnée, de tester le changement d’outil avec des données réelles puis d’identifier les risques éventuels associés à ce changement pour l’ensemble d’Octree. Une fois décidé collectivement, le changement peut se faire un projet à la fois afin de bénéficier de retours d’expérience graduels et de prendre des risques mesurés à l’échelle du groupe.

L’autonomisation et la liberté se gagnent dans le plaisir partagé, à condition d’être organisés et d’opérer un changement après l’autre… La poétesse afro-américaine Audre Lorde l’avait déjà saisi au sujet du féminisme en 1979, et au final ce n’est pas différent pour s’affranchir des rapports de pouvoir et de dépendance dans le travail:


«The Master’s Tools Will Never Dismantle the Master’s House»

- Audre Lorde


Lucien pour Octree

Pour en savoir plus:

  1. https://reinventingorganizationswiki.com/en/

  2. https://sociocracy30.org/

  3. https://collectivetoolsproject.org/en

  4. https://opensourcealternative.to/


octree

Octree is a Lean Startup Studio based in Geneva, Switzerland. We conceive, code and ship our client's application within an agile approach, to maximise their return on investment while focusing on an efficient go to market.

Digital transformation specialist, Octree focuses on delivering innovative and high value-added human-centered solutions through the use of startup methods.

http://octree.ch
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